Temps ou timing ?
Ces derniers temps, je sens les choses bouger en moi. Peut-être est-ce le printemps, ou simplement le temps qui est venu. Les graines semées commencent à germer, elles se sont gavées des nutriments de la Terre, elles se sont gorgées d’eau. Elles sentent l’énergie de Vie qui pousse vers elles depuis le centre de la Terre. Il est temps de se tourner vers le ciel et d’aller chercher l’énergie céleste. Ensemble, nous irons plus loin…
Cette énergie, si je peux deviner d’où elle vient, je ne peux pas vraiment la maîtriser. Je suis un canal, elle circule librement à travers moi, pourvu que mon esprit ne dresse aucun barrage pour la ralentir. Croyances limitantes, doutes, peurs, je suis ma propre limite. Et même si tous ces subterfuges sont là pour me protéger, à moi de repousser les barrières, petit à petit. A moi de déconstruire mes croyances pour en élever de nouvelles à leur place, qui me protègeront à leur tour. Je les déconstruirai à nouveau, plus tard, quand il sera temps.
Le Temps une convention
Mais quelle est donc cette notion de temps ? Cette construction humaine, cette convention faite pour que les Hommes se rencontrent. N’est-ce pas parti de cette volonté de tout maitriser ? L’espace, le cours de la Vie, l’Autre…
L’esprit humain est assez fort pour inventer des pensées limitantes, contenantes, réconfortantes. Au point de faire du Temps une notion linéaire avec un avant, un pendant, et un après. Pourtant, il n’a pas réussi la même prouesse avec la notion d’Espace. Il paraitrait inconcevable d’imaginer que les choses, notamment les lieux, disparaissent une fois qu’on les a quittés. De même, il nous est facile d’imaginer un endroit dans lequel on a envie d’aller, un ailleurs, alors même qu’on n’y est pas.
Notre esprit imagine le Temps comme quelque chose qui s’égrène, mais pas l’Espace. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il voit les effets du Temps sur son corps ou sur les saisons, il voit l’évolution, il voit les changements et il les subit, surtout, sans pouvoir y faire grand-chose. Alors pour se donner l’illusion de maitriser le cours de sa vie, il a créé cette convention qu’est le Temps, pour rencontrer les Autres plus facilement, pour mesurer l’espace qui le tient éloigné de sa future rencontre avec l’être aimé (ou le banquier, mais c’est moins romantique !), pour évaluer le temps qui lui reste avant l’échéance fatale : sa propre mort.
Sommes-nous égaux face au Temps ?
Le tout-petit enfant n’a pas accès à ces conventions, il n’a pas encore les clés pour décoder ces phénomènes et la notion de permanence de l’objet (comme l’a appelée Jean Piaget) lui est complètement étrangère. Lorsque l’adulte sort de son champ de vision, il n’existe plus pour l’enfant, qui se retrouve seul, abandonné, sans défense face à ce Monde trop grand pour lui, qu’il ne comprend pas. Que cette disparition dure trente secondes ou dix minutes, le sentiment d’abandon sera vécu de la même façon par l’enfant, en tout cas dans son expression primaire (le délai de réapparition aura toutefois un effet notable sur la quantité de cortisol déversée dans le corps de l’enfant).
Minimiser les ressentis des bébés est une erreur monumentale qui, si elle est trop souvent répétée, finit par couper l’enfant de ses ressentis et détermine de nouveaux seuils d’alerte beaucoup plus bas. L’adulte a un rôle de catalyseur à jouer auprès du tout-petit : il est là pour accueillir les émotions de l’enfant, pour les traduire et les mettre en mots, pour les décoder, et ainsi aider l’enfant à en faire de même par lui-même petit à petit.
Du Temps nait le mouvement
Pour revenir à la notion de Temps, je crois qu’elle agit un peu comme une quantité qui a la possibilité de se contracter ou de se distendre à l’infini (n’est-ce pas ce qui provoque le mouvement ?). Nous avons tous, je crois, des exemples d’heures qui passent à la vitesse de l’éclair tandis que d’autres s’étirent à n’en plus finir. J’ai souvent associé le temps à la notion de relativité du jugement.
En tant que photographe, le temps est une des notions à « maitriser » car elle va influer sur le résultat obtenu sur le capteur. Il y a quelques temps, j’ai eu un débat avec un ami artiste qui a du mal à percevoir la photographie comme un art. En effet, pour lui, le photographe ne fait que figer la réalité à un instant T, et sa créativité ne s’exprime pas. En fait, la photographie va bien au-delà de ça. L’artiste photographe se joue et s’affranchit de toutes les conventions physiques que les Hommes reconnaissent sur Terre. Nous nous jouons des espaces, passant de l’infiniment grand au microcosme, mêlant parfois les deux pour créer une nouvelle réalité. Les notions de cadrages, de perspectives, d’échelles deviennent toutes relatives et donnent naissance à des créations surprenantes, parfois déroutantes.
Le Temps n’est pas en reste. Le photographe va influer sur la vitesse d’obturation et sur l’ouverture du diaphragme pour contrôler la quantité de lumière qui va toucher le capteur. Il va ainsi s’assurer d’avoir une image correctement exposée, mais il pourra aussi créer à loisir des atmosphères différentes, particulières, parfois surréalistes, parfois oniriques. Le résultat, la photographie, l’image obtenue, est plus proche de la création artistique, elle est plus proche de l’expression intime de la pensée de l’artiste, que d’une réalité figée, suspendue à jamais.
Même le photoreporter, qui est sensé retranscrire un événement au plus proche de sa réalité, aura une grande liberté d’expression et pourra faire passer des messages, des impressions, des idéologies différentes voire contradictoires, juste en changeant l’angle de vue de quelques centimètres.
Prendre son Temps
Pour ma part, j’ai toujours eu un rapport particulier au Temps. Et depuis que j’en ai pris conscience, je n’ai eu de cesse de tenter d’abolir, tant que faire se peut, ces contraintes liées au Temps. Paradoxalement, j’aime les appareils de mesure du Temps (horloges, sabliers…) qui me fascinent. Mais la plupart du temps, mes pendules sont arrêtées : j’ai l’habitude de dire qu’elles sont à l’heure deux fois par jour…
Ces instruments me rappellent qu’il ne sert à rien de lutter contre le Temps qui passe. Je suis bien plus efficace lorsque je me laisse guider par mon intuition et mes envies du moment – ce qui est juste pour moi – que lorsque je me mets une pression de productivité en lien avec un ultimatum ou une échéance – ce qui est juste pour la société de consommation.
Pendant le premier confinement l’année dernière, j’ai pu expérimenter cette vie à MON rythme. Elle n’était pas sans contraintes, puisque j’étais en télétravail et que j’avais malgré tout des comptes à rendre à mon employeur. Mais j’ai pu expérimenter une vie sans réveil, sans horaires fixes (ou presque… Quelques rendez-vous en visio venaient se glisser çà et là), où le rythme des journées s’imposait à moi comme une évidence, trouvant son équilibre dans la justesse des actions entreprises, dans le timing propre aux tâches accomplies, simplement en fonction des besoins du moment présent.
Cette expérimentation m’a permis de voir que c’était simplement possible de vivre le travail comme ça, loin des standards imposés. Que les pensées limitantes que j’avais (du genre : pas de réveil = grasse mat’ = pas de rythme) n’étaient pas la réalité, et que d’autres repères et fonctionnements étaient possibles. La norme, cette autre construction de l’Homme pour bien vivre en société, est, elle aussi, à déconstruire et reconstruire sans cesse.
Au cours de ce premier confinement, j’ai réalisé une série de photos que j’ai appelée « L’école désertée » et qui donnera bientôt, je l’espère, naissance à un livre d’auteur. L’atmosphère qui ressort de ces photos est atemporelle, presque onirique. Ce que je ressentais en traversant cette école pour rentrer chez moi (j’habite au-dessus des classes) était tellement fort que je voyais les images danser devant mes yeux avant même d’avoir l’appareil entre les mains. J’entendais les voix des enfants, les pas résonner dans l’escalier, mais seul le silence assourdissant me répondait en écho.
Mais finalement, la situation s’est transformée en émotions, et c’est alors que le Temps est devenu mouvement…
Laure Cartel, auteure photographe et Educatrice de Jeunes Enfants
Si je me présente aujourd’hui comme un être d’émotion, je me suis longtemps définie par ma fonction : Educatrice de Jeunes Enfants. La photographie est avant tout une passion, mais elle est devenue un second métier, une seconde nature il y a quelques années quand j’ai pris un statut d’auteure photographe. Je navigue aujourd’hui entre ces deux métiers qui me tiennent à cœur, exprimant chaque jour un peu plus mon identité singulière et révélant au grand jour ma sensibilité extra-ordinaire, la mettant au service de mes activités et de mes publics, en attendant de créer la formule magique qui unira le tout avec fluidité, pour mon plus grand bonheur…